-
Paroles
Je les vois. Je les entends. Mais je ne peux rien dire. Infâme cécité, me voilà condamnée à ne pouvoir que penser. Mais comment partager ? La fluidité du langage est trop particulière pour que l’écriture seule puisse contenter ce manque. Les mots dansent dans ma tête, mes pensées s’éparpillent, les taire est bien trop dur mais je n’ai pas le choix. Elles m’échappent.
Et je les entends, eux, qui parlent à tort et à travers, de tout et de rien alors que je rêve ne serait-ce que d’un mot qui franchirait mes lèvres. Regardez donc quand il y a viol, agression, injustice… Combien sont tus contre les quelques un dénoncés ? Quand quelque chose d’important se passe, ils perdent soudainement leur langue. Ah ! Que je voudrais pouvoir hurler et qu’enfin ils comprennent. N’ont-ils donc aucune conscience de la préciosité et du pouvoir de la parole ? Un don qui leur semble si banal alors qu’un seul mot peu tout changer. Il peut guérir ou détruire. Sauver ou tuer.
Ou, est-ce que ces bavards auraient trop conscience justement de ce pouvoir que cela les effraient alors ils préfèrent palabrer ? Cacher cette peur ? Mais pourtant cette peur ne semble pas présente quand il s’agit de servir leurs intérêts ou de se venger, alors quoi ? Je voudrais les confronter à leur incohérence. Mais comme je l’ai déjà écrit, je ne peux pas parler et qui voudrait lire un texte l’accusant d’égoïsme, de mensonges, d’opportunismes… Alors qu’il est si simple de jeter une feuille et de ne plus y penser.
De plus, lorsqu’on écrit notre pensée se doit d’être déjà claire, c’est rigoureux, ce doit cohérent. Je les entends quand ils réfléchissent à haute voix, plus ils parlent et plus leurs pensées s’affinent. Cela leur permet de prendre du recul, d’évoluer selon les échanges, et tout cela en temps réel. Tout ceci m’est interdit et, mon Dieu que c’est douloureux ! Tout m’est plus difficile. Je suis seule. Coincée. Prisonnière de moi-même. J’ai l’impression d’être enfermée dans mon corps, tel un pantin de bois dépendant du marionnettiste. Mon marionnettiste m’a abandonnée, jouet défectueux. Farce cruelle d’un monde injuste.
Dois-je devenir Pinocchio ?
©
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
« Comment vais-je sortir de ce labyrinthe ? »
Simón Bolívar
Tags : pouvoir, parole, pensee, seul, mot
-
Commentaires