• On était mardi, il était deux heure du mat’. Quelqu’un a sonné à la porte, perplexe je suis allé ouvrir et elle était là, devant moi. Les cheveux en bataille, les yeux bouffis par les larmes, un lueur inquiète et désespérée dans le regard. En un mot, défaite. Je la regarde d’un air étonné, les bras ballants comme le grand con que je suis. Et elle, elle me fixe de son regard si triste qu’il me paralyse presque. On reste un moment comme ça à se regarder sans parler puis je vois ses yeux commencer à briller juste avant qu’elle n’éclate en sanglots en se jetant à mon cou. Je passe une main maladroite dans son dos pour essayer de la calmer ou de la rassure et me recule un peu pour refermer la porte de l’appartement. Elle reste encore quelques minutes ainsi, à pleurer dans mes bras avant de s’éloigner en reniflant. Elle s’excuse alors, soudain gênée comme si elle n’avait pas le droit de pleurer. Je lui souris, balaie ses excuses d’un geste de la main pourtant en vrai je n’en mène pas bien large. Comme à son habitude elle arrive à me déstabiliser sans même essayer. On se pose sur le canapé et je sors des bières. Elle boit la sienne sans parler et sans me regarder tandis que je ne peux fixer mon ailleurs que sur elle. Qu’est-ce qui l’amène à sonner à ma porte à deux heure du matin dans un état aussi lamentable ? Qu’est-ce qu’il lui arrive merde ? Le silence perdure encore sans que je n’ose le briser et soudain sa voix rauque s’élève.

    -       -   Je suis désolée, j’aurais pas dû venir. Il est deux heures du mat’ je voulais pas t’emmerder. Mais je sais pas, je me suis soudainement retrouvée submergée et tu es la seule personne à qui j’ai pensé. Je me suis dit que tu comprendrais, que tu m’écouterais… Peut-être ai-je eu tort… Je sais pas ce que j’ai, j’y arrive plus. À vivre je veux dire. J’arrive plus à vivre, à apprécier la vie, à être heureuse ou même joyeuse. Ça m’a frappé d’un coup. Une gifle de désespoir. Une torgnole de haine, envers moi-même et le monde. Comme si je me brisais de l’intérieur et n’étais plus qu’un tas de miettes. Un flash de lucidité me disant que je n’ai rien à faire ici, qu’il n’y a rien sur Terre pour nous. On est tous en train de se foutre en l’air et je ne veux pas assister à ce spectacle macabre. Toutes mes illusions ont volé en éclat d’un coup sans que je ne comprenne ni pourquoi ni comment. Et je me retrouve à terre, le nez dans ma misère. J’étais prête à tout arrêter mais un dernier sursaut d’instinct de survie débile m’a conduite ici. Comme si tu étais le seule à pouvoir m’aider.

    Je l’écoute sans un mot, ne voulant pas l’interrompre. Elle semble en transe, ne s’adressant pas vraiment à moi mais plutôt comme si le flot de ses pensées la submergeait et qu’elle devait l’évacuer. Elle a les yeux dans le vague, fixant un point lointain, peut-être inexistant. Elle a toujours été comme a, un peu dans la lune, la tête dans les nuages, même quand elle parle. Comme si elle était à deux endroits à la fois, un pied dans la réalité un autre dans ses pensées. Ça m’embêtait toujours un peu, mais ce soir ça n’a pas d’importance. Ce soir je ne peux pas lui en vouloir, pour quoique ce soit.

    -         -  Tu sais, commençais-je hésitant, ça arrive à tout le monde de déprimer mais faut pas se laisser aller… Faut pas se laisser engloutir par ses idées noires, y’a plein de truc bien dans la vie et dans le monde…

    Elle me regarde d’un air vide puis éclate d’un rire rauque devant mon air interloqué.

    -       -   Ouais, évidemment, je le sais bien mais… Tout le monde n’avale pas une boîte de médocs en s’enfilant une flasque de whisky, seule dans la rue, tout le monde ne joue pas les trompe-la-mort en s’allongeant sur la route pour se carapater en courant quand une voiture te frôle, et tout le monde ne fait pas ça ! s’emporte-t-elle en relevant ses manches pour montrer de longues et nombreuses coupures encore sanguinolentes sur ses avant-bras.

    Elle les redescend ensuite d’un geste sec qui lui arrache une grimace de douleur et attrape une autre bière qu’elle boit d’un coup. À cet instant, je me sens profondément inutile et triste pour elle, sans doute un peu horrifié aussi. Et le silence continue de planer, elle a un air buté et la mâchoire serrée. Qu’est-ce que je peux bien rétorquer à ça ? Évidemment tout le monde ne fait pas ce qu’elle vient de me dire, heureusement, elle si…

    -    -  Désolée, j’aurais pas dû sortir tout ça.

    -- -  C’est pas grave… C’est moi qui suis désolée pour toi.

    -  - Je veux pas de ta pitié, merci. Assène-t-elle sèchement.

    -     - C’est pas de la pitié, plutôt de l’empathie, j’aimerais pouvoir t’aider mais je sais pas comment faire, quoi faire. Je suis pas psy ou médecin… T’as pensé à en voir un ?

    -     -  Ouais, mais en fait je vois l’utilité, il ferait quoi ? Prescrire des antidépresseurs ou je ne sais quoi ? Si c’est ça, je me soigne très bien toute seule.

    -   - Pas forcément, il pourrait t’aider à comprendre ce qui va pas, comment faire pour aller mieux…

    -  - Oh allez, arrête tes conneries, tu sais aussi bien que moi que ça marchera pas.

       - Ça s’est bien elle, venir chercher de l’aide pour ensuite t’envoyer balader. Rester butée dans son marasme. Merde quoi, elle peut pas débarquer pour me foutre son malheur à la gueule en toute impunité.

    -        -  Et bah qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Va pas voir de médecin alors, continue ta cure d’auto-destruction. Je peux pas t’aider si t’acceptes pas que je le fasse au final.

    -       -  Putain mais tu comprends que dalle ! s’énerve-t-elle en me prenant de cours. J’ai pas besoin que tu me dises tout ça ! Je le sais déjà. C’est juste que… C’est juste que j’y peux rien. C’est pas moi, je décide pas ! C’est comme un coup de marteau sur le crâne et boum, la chute. Je sais jamais ce qui m’attend quand je me réveille, désespoir ? Euphorie ? Rage ? Tous les jours c’est la loterie et je gagne le gros lot qu’une fois sur quatre. Et quand vraiment j’en peux plus, je triche, quelque cachetons pour être un peu heureuse mais parfois même ça, ça marche plus. Comme ce soir. Et je déraille.

     Au fur et à mesure sa voix se brise et perd de sa dureté jusqu’à ce qu’elle ait de nouveau les larmes aux yeux et son air défait. Je vois de nouveau la petite fille blessée, presque détruite, perdue et ayant terriblement besoin d’attention et d’affection. De soutien. Et de nouveau elle me déstabilise et me désarme. Je reste muet, elle a raison, je ne comprends pas, pas vraiment. Je voudrais seulement pouvoir l’aider, mais parfois vouloir ne suffit pas. Je vois bien que quoique que je puisse dire ça n’ira pas, ça ne suffira pas alors je l’attire contre moi et la berce doucement. D’abord réticente, elle se laisse aller petit à petit à se détendre et c’est ainsi que l’on finit par s’endormir. Elle lovée contre moi. ©

     

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